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Photo du rédacteurPeter Parkour

Pourquoi avons nous si peur des spoilers ?

A l'heure où Game of Thrones entame son ultime saison et que tout le casting d'Endgame supplie son public de ne pas spoiler le dernier film de la franchise Marvel, la peur du spoil est prégnante ces dernières semaines. Une peur panique qui vire parfois à la psychose. L'occasion de se demander, mais de quoi avons-nous si peur ?


Dans cet article sera révélé des moments clé de certaines oeuvres , ainsi si vous n'avez pas  vu : Psychose , Seven. Arrêtez de lire ! 


La communication autour d'Avengers Endgame aura été plus que clair là dessus : il ne faut pas spoiler Endgame. Les teasers dévoilant seulement des images de la première demi-heure du film ( quand il ne s'agit pas d'images qui ne sont mêmes pas dans le montage final ) tout le déroulement du film reste secret et les spectateurs se sont ainsi empressés de découvrir le film, frais de tout dévoilement d'intrigue. Même chose pour le phénomène Game of Thrones où il est conseillé de voir l'épisode le plus tôt possible pour éviter ces fameux spoilers. Cet empressement est significatif d'une peur que partage beaucoup de spectateurs, demandons nous, pourquoi avons nous autant peur des spoilers ?


Protéger une expérience narrative ?


La peur des spoilers n'est pas née avec Game of Thrones , en 1960 Hitchcock cherche un moyen de protéger son coup de théâtre de milieu de film, en effet  Marion Crane est faussement induite comme étant le personnage principal du film avant de mourir lors d'une des scènes les plus cultes de l'histoire du cinéma. Pour ressentir le choc voulu par Hitchcock il faut donc avoir suivi ce personnage depuis le début et s'être identifié à lui. Pour cela Hitchcock a  une idée, il demande aux pontes de la Paramount d'interdire n'importe quel spectateur qui arriverait en retard à une séance, en effet, un spectateur arrivant tardivement pourrait manquer le début du film et considérer que le personnage principal n'est pas Marion Crane mais Norman Bates , ou pire arriver après la mort de Marion Crane. Une mesure drastique ( inimaginable de nos jours ) mais qui témoigne bien de la volonté des créateurs de protéger l'expérience narrative conçue au départ.


https://www.youtube.com/watch?v=wCNibY4Km8Q


Une expérience narrative qui s'étend même en dehors du film, lorsque Hitchcock choisit Vera Miles pour incarner Marion Crane ce n'est pas un choix anodin. En choisissant une actrice renommée il sait que sa disparition précoce et violente fera encore plus d'effet. Cet exemple en dit long sur les rapports entre les films et leurs spectateurs, il ne suffit pas simplement de protéger l'expérience du spectateur dans la salle, mais aussi lorsque ce dernier s'informe sur les éléments "métas" du film. David Fincher fera de même pour son chef d'oeuvre Seven en n'évoquant pas  la présence de Kevin Spacey au casting. Les spectateurs pouvant se douter qu'il incarne le tueur.

Ainsi notre peur se justifie par une volonté de découvrir les œuvres de la manière dont elles ont été conçues, pensées et distribuées. Autre point essentiel, la découverte d'une surprise est à usage unique. Une fois que le secret est éventé impossible de revenir en arrière, votre expérience de spectateur change tandis qu'une autre disparaît. Mais est-ce si grave que ça ?

En découvrir une autre


Une étude publiée en 2011 par les psychologues Jonathan D.Leavitt et Nicholas J.S Christenfeld a montré que découvrir une oeuvre tout en étant spolié n’empêchait pas de l'apprécier. Sur un panel de 891 lecteurs, trois groupes ont été crées, l'un n'avait aucune information sur les éléments clé de l'intrigue, un autre avait des spoilers partiels tout au long de leur lecture et un dernier découvrait le fin mot de l'histoire en tout début de lecture. Il en est ressorti que le premier groupe était celui qui avait le moins apprécié l'histoire.

https://www.youtube.com/watch?v=sgI92flaWvs

Les arguments évoqués par les deux chercheurs pour expliquer ce résultat est que les lecteurs qui connaissaient déjà des éléments clé de l'intrigue ont pu s'attacher des détails de l'histoire et plus précisément sur la mise en place de cette dernière. Un regard différent car libéré de la tension du récit. Le suspense pour autant ne disparaît pas complètement, il change seulement de cible. Plutôt que de s'attacher à l'incertitude du récit qui concernerait par exemple la survie de certains personnages, la tension naît de la frustration de savoir ce qui va se passer et de ne pas pouvoir l'empêcher. Un schéma que l'on peut rapprocher de la structure d'une tragédie grecque.

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Un des arguments qui iraient en faveur d'une expérience plus appréciable avec spoiler, serait que certains twists ou retournements de situations nous renverraient à notre propre crédulité de spectateur, on pourrait ne pas apprécier le fait d'avoir été mené en bateau par le récit. Un twist nous renverrait donc vers notre statut de spectateur passif et victime du récit. Néanmoins, nous ne sommes pas forcément moins passifs lorsque nous sommes face à une tragédie, comme tout autre spectateur nous assistons impuissant au déroulement du récit et au destin funeste de nos personnages favoris.

Notre réaction face au spoiler est aussi révélatrice de nos attentes face à un récit. Un twist ou retournement de situation ou changement de paradigme pour en citer un troisième est avant tout une remise en cause du récit, de ses personnages et de leurs parcours. Et, comme le précise Diane Gauthier dans son mémoire consacré au paradoxe du suspense et au plaisir de la lecture face à un renversement sémantique ( twist ) :

Au-delà du paradoxe du suspense, les récits qui confrontent leurs lecteurs et leurs spectateurs par le renversement sémantique les mènent vers la rencontre d'une altérité qui leur permet de réévaluer leurs préjugés et leurs valeurs.

Pour apprécier pleinement un twist , il faut donc aussi être prêt à accepter une remise en question du monde fictionnel que l'on observe, certes mais aussi le monde dans lequel on vit. Cette rupture cognitive entre ce que l'on croie savoir et ce que l'on finit par découvrir peut être déstabilisante et c'est peut être pourquoi le fait de savoir à l'avance ce qui va se passer nous donne l'impression de moins subir le récit.


En définitive, peut-on apprécier une oeuvre même si l'on connaît la fin ? La réponse est oui , certaines qualités esthétiques par exemples reste intacte et l'on peut se dire que le film ne repose pas seulement sur ses retournements de situations. Néanmoins, prétendre que se faire spoiler n'est pas important serait à mon sens une erreur. Car  l'on peut profiter du statut de spectateur averti et en profiter pour s'attarder sur certains détails de l'oeuvre passés inaperçus lors d'une première vision sans pour autant se passer d'une véritable découverte avec l'oeuvre et avec son intrigue. Tout simplement en offrant à l'oeuvre une seconde vision ou une seconde lecture. C'est notamment ce dont parle le Youtubeur Critique Masqué qui s'attarde sur l'intérêt de revoir des "films à twist". 

Pour en savoir plus :

Le mémoire sur le paradoxe du suspense : https://archipel.uqam.ca/11867/1/M15714.pdf

L'étude de 2011 : http://pages.ucsd.edu/~nchristenfeld/Publications_files/Spoilers.pdf

 

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