Alors que son huitième film Vice est actuellement en salles, il était temps de revenir sur la carrière d'Adam Mckay et plus précisément sur les liens entre politique et comédie qui parcourent son oeuvre. Mais d'abord répondons à une question simple : qui est Adam Mckay ?
Du SNL à San Diego
Si il existe plusieurs genres désavoués par l'institution et la critique, la comédie en fait partie. Même chose, si ce n'est plus pour la comédie américaine. En tout cas un certain type de comédie américaine qui verra ses maîtres actuels adoubés sur le tard, notamment Judd Appatow. La faute à une méconnaissance du public franchement pas aidé par une distribution souvent désastreuse. Les comédies américaines arrivant souvent chez non avec une traduction souvent racoleuse de leur titre ( The other guy devient Very Bad Cops pour surfer sur le succès de Very Bad Trip, Superbad devient Supergrave etc ..) donnant une image graveleuse a tout un pan du cinéma américain. Si bien qu'un génie comique comme Will Ferrel est reconnu par un public qui a su aller plus loin que ce lui propose les distributeurs français. Dans un tel contexte, difficile de mettre en lumière le travail d'un réalisateur et notamment celui d'Adam McKay.
McKay débute au coté de Michael Moore dans son émission l'Amérique de Michael Moore : l'incroyable vérité mais c'est dans l'émission culte du Saturday Night Live qu'il se fera remarquer en tant qu'auteur de 1995 à 2001. C'est pendant cette période qu'il fera la rencontre de Will Ferrel avec qui il formera un duo explosif. McKay voit en Ferrell le génie comique capable d'incarner ses personnages à l'écran et Ferrel quand a lui semble avoir trouvé un réalisateur et scénariste qui comprend son timing comique. Une collaboration qui durera jusqu'en 2013 avec Anchorman 2 qui adapte un personnage déjà incarné par Ferrel au SNL.
Le premier film d'Adam Mckay justement est une adaptation d'un concept crée par McKay et Ferrell au SNL. Anchorman nous présente le quotidien d'un présentateur télé dans les années 70 qui voit son monde s'effondrer lorsqu'il est remplacé par une femme. Il enchaînera ensuite avec quatre autre films avec Will Ferrel dont un Step Brothers touchant, débile et subtil, très apprécié par les fans de comédie.
Le talent de McKay sera bien souvent éclipsé par le talent de Will Ferrell. Pourtant si Ferrell brille autant c'est grâce à McKay. Déjà car McKay connaît ses comédiens et laisse souvent la place à l'improvisation dans son récit. La preuve, durant le tournage de son premier film, les comédiens ont tellement improvisé qu'il a été possible de monter un second film d'une heure et demie ! Le cadrage , le montage ( primordial en comédie ) met toujours en valeur ses comédiens. McKay est bien plus qu'un faiseur en termes de comédie. Mais c'est avec son septième film qu'il va enfin se faire remarquer.
Un sous-texte politique toujours présent ?
C'est donc à la surprise de tout le monde que l'on découvre en 2015 Adam Mckay a la réalisation d'un film politique consacré à la crise des subprimes et ce, avec un casting dément. Bale, Carel, Gosling et Pitt sont à l'affiche de ce film qui remportera l'oscar du meilleur scénario. Fort de ce succès et de cette reconnaissance, McKay enchaîne avec Vice, rien de moins qu'un biopic sur l'ancien vice-président Dick Cheney. On pourrait penser que cette mue politique arrive de nul part. Pourtant McKay , derrière les pitreries de Will Ferrel et autres, a toujours essayé d'aborder des questions politiques et sociétales.
Rappelons tout d'abord que McKay a commencé sa carrière à la télévision avec Michael Moore dans son programme The awful truth où il abordait des sujets politiques et sociétaux avec humour. C'est donc par le biais de la politique qu'il commence sa carrière dans l'humour. Dans son premier film il s'attaque à la misogynie qui règne dans les médias, un sujet malheureusement encore d'actualité ( Ligue du LOL ).
Dans Step brothers le personnage incarné par Adam Scott qui travaille dans la finance et se vante de l'argent qu'il gagne est sans cesse ridiculisé au profit des deux personnages principaux. A travers les personnages de Ferrel et de John C Reilly , McKay se moque du conformisme et des valeurs américaines qui placent l'argent au dessus de tout, quitte à oublier qui nous sommes. Step Brothers montre deux personnages enfantins et pas très malins, certes, mais qui refuse aussi de se conformer au monde capitaliste, qui se refuse à accepter des jobs ingrats mais qui veulent simplement consacrer du temps à ce qui les fait vibrer, même si le résultat est ridicule bien entendu.
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Mais cette porté politique encore en filigrane va prendre de l'ampleur au fil de la filmographie d'Adam McKay, tout d'abord dans son film suivant The Other Guys où l'intrigue policière du film se résume à un homme d'affaires qui détourne de l'argent public pour rembourser ses dettes et les nombreux prêts qu'il a engagé. Il critique ainsi déjà une des causes de la crise des subprimes où l'accumulation de prêt douteux avait conduit toute la finance mondiale à la catastrophe. Mais le clou du spectacle réside dans le générique de fin où le film nous expose clairement à l'aide d'animation et de statistiques l'enrichissement toujours plus croissant des patrons de grandes entreprises au détriment de leurs salariés et de l'argent public qui renfloue leur dettes.
https://www.youtube.com/watch?v=3yBfWz2bSOQ
Arrive ensuite Anchorman 2 qui , en plus d'être un véritable sommet de comédie où tout le casting se donne à coeur joie et livre une performance comique incroyable, se permet d'avoir un réel propos sur le monde médiatique actuel. Cette suite nous raconte la naissance des chaînes d'info en continu et ce que cela implique en terme de journalisme. Le film critique ouvertement ces chaînes qui privilégient le divertissement au détriment de l'information pure et objective. Mieux encore, le film dénonce aussi le fait que des chaînes de télévision appartiennent à de grands patrons d'entreprises et l'ingérence que cela provoque. Ces problématiques touchent actuellement de plein fouet le monde de médias, que ce soit en Amérique ou en France ( BFM TV , C-News etc ....).
https://www.youtube.com/watch?v=Ha7s7o7KDrM
A la vue de ces thématiques apparues en filigrane dans ces précédents films, la mue politique d'Adam McKay semble en vérité tout à fait logique et naturelle, seulement, cette volonté d'aborder frontalement des questions politiques démontre t'elle l'échec de la comédie à délivrer des messages ?
Frustration ou rébellion ?
En 2015 avec The big short, McKay dépoussière le genre du film politique et engagé avec une narration maligne et un ton sarcastique. Tout d'abord le fait que le personnage de Ryan Gosling s'adresse régulièrement au spectateur pendant le film dynamise la narration et nous fait comprendre qu'il ne s'agit pas simplement d'un film académique sur la finance. Mais le vrai tournant arrive lors de la scène avec Margot Robbie.
https://www.youtube.com/watch?v=anSPG0TPf84
Plusieurs petites saynètes de ce genre sont présentes dans le film avec a chaque fois une personnalité différente , que ce soit Selena Gomez ou bien le chef cuisinier Anthony Bourdain. Ces saynètes ont pour but d'expliquer de manière imagée et divertissante , un concept financier qui semble confus et complexe pour le commun des mortels. Ces scènes ont pour moi un double discours qui illustre bien le double discours de McKay. D'un côté il fustige le monde de la finance qui abreuve les citoyens de termes complexes et obscurs pour être sûr que personne ne s'intéresse à leur manigances. D'un autre côté il s'attaque aussi au public qui n'a jamais pris la peine de s'intéresser à ces questions, l'image est parlante, il a fallu mettre Margot Robbie dans une baignoire avec du champagne pour capter notre attention....
https://www.youtube.com/watch?v=oXFp7DtZQuw
Dans cette interview réalisée récemment pour la promo de Vice, McKay évoque sa frustration concernant les thèmes politiques abordés dans The Other Guys et Anchorman 2 :
"Et il y aussi le fait qu'on parlait de l’effondrement économique. Je me souviens dire qu'on ne pouvait parler d'un dealer ou d'un trafiquant. Qui ça peut intéresser ? L'économie mondiale vient de s'effondrer ! On a essayé d'écrire notre film comme une allégorie de l'effondrement économique. On a écrit tout le film comme ça, et ensuite j'ai entendu des gens demander : Pourquoi il y a ce générique à la fin ? Et pour moi tout le film parlait de ça. Je pense que les gens ne voyaient qu'une comédie, mais ça a été formateur. Je pense que la comédie empêche de bien comprendre le message. Donc on est allé encore plus loin pour Anchorman 2 . Mais honnêtement on n'a pas eu plus de réponses pour Anchorman 2 . Les gens savaient que c'était là mais personne n'en a parlé. Et là aussi ça m'a déçu.
C'est sûrement cette déception qui a poussé McKay a aborder frontalement les thématiques qu'il souhaitait aborder. Avec toujours autant de malice , certes, mais aussi avec cette ambivalence envers le public. Frustré de la réception précédente de ses films, il s'attaque autant au monde de la finance qu'a son public. Cette ambivalence se poursuit dans son dernier film Vice dans lequel une nouvelle voix-off astucieuse s'adresse au public dès les premières minutes en le fustigeant de ne pas s'intéresser à la politique et à ce qui se passe dans leur propre pays. Une attaque clairement assumée dans la scène post-générique du film que je ne dévoilerait pas ici mais dont la dernière réplique confirme le discours de McKay face aux spectateurs.
On aurait pu penser que McKay, en passant de la comédie aux films politiques, conservait cette touche d'humour car cela fait partie de son style. Mais il semble plus plausible que McKay utilise l'humour aux seins de films ''sérieux ''comme une nécessité et comme un outil pédagogique et didactique redoutable pour faire passer des messages qui autrefois passaient inaperçu aux yeux des spectateurs. Le véritable ennemi d'Adam McKay c'est finalement l'attention des spectateurs, une attention de plus en plus réduite à l'heure ou ce que l'on appelle l'économie de l'attention fait de plus en plus de ravages. Il n'est d'ailleurs pas impossible, qu'après avoir évoqué la question de l'économie de l'attention en filigrane à l'intérieur de ses deux derniers films, il finisse par aborder ce thème frontalement pour son prochain film. En attendant , McKay semble être le réalisateur engagé le plus pertinent de cette décennie, là où Oliver Stone dans le passé détournait les grands récits mythologiques et homériques pour diluer son message auprès du public. McKay utilise le détournement et la parodie pour parler à son public.
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